Cette transformation trouve son origine dans l’usage même de la matière : de l’extraction du minerai au façonnage de la tôle d’acier, de l’exploitation forestière aux structures en bois lamellé-collé, de la carrière de concassage aux ossatures en béton armé, des mines de bauxite aux profilés d’aluminium extrudé. Partout le grand paysage est façonné par ce processus industriel qui place la construction au centre de cette transformation.
Mais le projet est aussi le révélateur de cette transformation. En se fondant sur la rationalité des choix organisés autour d’une trilogie – géométrie -statique – chantier, le projet devient un outil raisonné de la transformation de l’espace.
Dans le domaine des ouvrages d’art et celui des infrastructures, cette articulation de projet est déterminante. Elle doit permettre d’éviter l’abstraction technocratique dans laquelle se construisent les projets à grandes échelles sur le territoire : le pont n’est pas un simple franchissement, la route n’est pas un ruban d’asphalte accueillant un flux migratoire. Ici, le projet doit aussi trouver sa cohérence dans la lecture des échelles du paysage, dans le parcours d’une géographie informée d’histoire. Alors le pont devient une promenade en balcon sur le fleuve, la route, un travelling à travers les textures de la géographie.
Hier, il fallait construire pour le plus grand nombre, aujourd’hui on construit pour le déplacer, la valeur du temps prend le pas sur la géographie. Gagner du temps semble signifier perdre le rapport au sol, être en extraterritorialité : une dématérialisation s’opère.
Pour éviter les erreurs d’hier, il faut que ces transformations majeures ne soient pas réduites à leurs valeurs techniques, il nous faut retrouver les qualités sensibles du regard sur le paysage, les qualités construites des ouvrages d’art, les qualités de partage sur le territoire commun.
La pensée sur la ville, comme la pensée sur le territoire semblent s’abstraire dans les imageries mathématiques : chaos pour les uns, anamorphoses temporelles de la géographie pour les autres, réseaux virtuels pour tous. A contrario, c’est l’attention sensible des lieux, la valeur des lumières, les plaisirs de la gravité et des matières mises en œuvre qui pourraient assurer la générosité de l’espace partagé.